J'ai beaucoup d'affection pour les gens beaux.
Cette révélation m'est tombée dessus, la sotte, lors d'une étude de texte avec mes 3e X-men (faudra que je vous parle de mes 3e X-men, qui m'ont fait retrouvé la foi en l'humanité en général et l'enseignement en particulier). On dépiautait un célèbre extrait d'Eugénie Grandet (faut cliquer sur "Eugénie Grandet" une fois dans le site). Sous mes yeux émerveillés, débat acharné pour déterminer si la drôlesse est une déesse ou un laideron. Et puis Morrigan prend la parole. Morrigan ne parlait jamais l'année dernière. Elle était la chose d'une sotte de première qui la ridiculisait à la moindre syllabe voisée. Cette année, Morrigan s'exprime. Chaque question, chaque remarque est un bijou travaillé qu'elle offre timidement.
"Le problème n'est pas sa beauté, le problème c'est qu'à force de fuir, elle n'existe pas."
Hormis le fait qu'une élève de Troisième soit capable de s'exprimer sans référence à la téléréalité ou sans traiter la génitrice d'un camarade de pourvoyeuse de services de très très grande proximité, c'est qu'elle a mis en mots un truc autour duquel je tournais depuis longtemps.
J'ai besoin de gens beaux, via rétine, cornée, fantasmes ou peau, parce qu'ils cessent de me faire douter. Les gens beaux, mes gens beaux, font advenir la réalité. Ils occupent l'espace, et le monde, autour d'eux, s'impose en évidence. Etre en leur présence, c'est cesser, un moment, de lutter, pour bâtir des certitudes sur des fondations de sable. Ca vaut bien des sacrifices.
Exemple le soir même. Je subis le clip désolant de la non moins désolante dernière guimauve musicale de Mika. Fanny Ardant s'y est retrouvée mêlée dans j'ignore quelles circonstances. Un peu après le début, un plan très rapide la montre en train d'étendre les bras, parodie d'envol. Le geste est posé, évident. Il existe et me boxe dans les cordes. On ne devrait jamais étendre les bras autrement.
Cela explique sans doute l'effroyable proportion d'acteurs au physique dérangeant. Indépendamment de tout pif en biais, de regard torve ou de cheveux gras, ils ont cette grâce suprêmement injuste : ils savent faire advenir un moment. Ils le rendent vrai, donc mémorable. Il y a tant de déchet dans la mémoire, un ruban de milliards de pulsations qui ne mérite même pas qu'on en parle. Et qu'une personne soit capable d'en arracher un brin, de sauver un fragment du temps en l'habitant me paraît l'une des grandes affaires de l'histoire humaine.
Je ne fréquente pas les autres pour ce trait particulier. Mais je serais hypocrite en disant qu'il ne rajoute pas un sacré plus à nos relations. Passer une soirée près de chez les morts en compagnie d'un couple magnifique brûle suffisamment la rétine pour avoir sous la paupière de quoi tenir pendant un bon moment. Se baigner aux rayons du sourire de certains collègues est un énergisant puissant. (oui, certains profs sont à tomber par terre, une chance que j'ai toujours une connerie sous le coude pour le masquer...)
Après, quand on est capable de convaincre l'un de ces êtres-là de partager votre vie... mais passons.
Et puis les gens beaux ont cet effet souverain de me réconcilier avec moi-même. Mon histoire commune avec le corps que j'habite est pour le moins cahotante, nous vivons aujourd'hui sur la base d'un motus vivendi fort bancal. Mais il y a des moments où je me rends compte. Que je peux tisser certains brins de cette grâce-là. Qu'il y a un geste, un mot, un rire. Qui résonne à l'unisson parfait de cette réalité. Que je sors du flou, de l'à peu près, mon domaine.
J'avais prévu une suite, une série de contre-arguments, pour tempérer la naïveté confondante de cette éloge. Je me tairais. Il y a des êtres à l'eau-forte qui maintiennent en place ce que l'on nomme réalité. C'est suffisamment gigantesque pour que l'on se taise.
Cette révélation m'est tombée dessus, la sotte, lors d'une étude de texte avec mes 3e X-men (faudra que je vous parle de mes 3e X-men, qui m'ont fait retrouvé la foi en l'humanité en général et l'enseignement en particulier). On dépiautait un célèbre extrait d'Eugénie Grandet (faut cliquer sur "Eugénie Grandet" une fois dans le site). Sous mes yeux émerveillés, débat acharné pour déterminer si la drôlesse est une déesse ou un laideron. Et puis Morrigan prend la parole. Morrigan ne parlait jamais l'année dernière. Elle était la chose d'une sotte de première qui la ridiculisait à la moindre syllabe voisée. Cette année, Morrigan s'exprime. Chaque question, chaque remarque est un bijou travaillé qu'elle offre timidement.
"Le problème n'est pas sa beauté, le problème c'est qu'à force de fuir, elle n'existe pas."
Hormis le fait qu'une élève de Troisième soit capable de s'exprimer sans référence à la téléréalité ou sans traiter la génitrice d'un camarade de pourvoyeuse de services de très très grande proximité, c'est qu'elle a mis en mots un truc autour duquel je tournais depuis longtemps.
J'ai besoin de gens beaux, via rétine, cornée, fantasmes ou peau, parce qu'ils cessent de me faire douter. Les gens beaux, mes gens beaux, font advenir la réalité. Ils occupent l'espace, et le monde, autour d'eux, s'impose en évidence. Etre en leur présence, c'est cesser, un moment, de lutter, pour bâtir des certitudes sur des fondations de sable. Ca vaut bien des sacrifices.
Exemple le soir même. Je subis le clip désolant de la non moins désolante dernière guimauve musicale de Mika. Fanny Ardant s'y est retrouvée mêlée dans j'ignore quelles circonstances. Un peu après le début, un plan très rapide la montre en train d'étendre les bras, parodie d'envol. Le geste est posé, évident. Il existe et me boxe dans les cordes. On ne devrait jamais étendre les bras autrement.
Cela explique sans doute l'effroyable proportion d'acteurs au physique dérangeant. Indépendamment de tout pif en biais, de regard torve ou de cheveux gras, ils ont cette grâce suprêmement injuste : ils savent faire advenir un moment. Ils le rendent vrai, donc mémorable. Il y a tant de déchet dans la mémoire, un ruban de milliards de pulsations qui ne mérite même pas qu'on en parle. Et qu'une personne soit capable d'en arracher un brin, de sauver un fragment du temps en l'habitant me paraît l'une des grandes affaires de l'histoire humaine.
Je ne fréquente pas les autres pour ce trait particulier. Mais je serais hypocrite en disant qu'il ne rajoute pas un sacré plus à nos relations. Passer une soirée près de chez les morts en compagnie d'un couple magnifique brûle suffisamment la rétine pour avoir sous la paupière de quoi tenir pendant un bon moment. Se baigner aux rayons du sourire de certains collègues est un énergisant puissant. (oui, certains profs sont à tomber par terre, une chance que j'ai toujours une connerie sous le coude pour le masquer...)
Après, quand on est capable de convaincre l'un de ces êtres-là de partager votre vie... mais passons.
Et puis les gens beaux ont cet effet souverain de me réconcilier avec moi-même. Mon histoire commune avec le corps que j'habite est pour le moins cahotante, nous vivons aujourd'hui sur la base d'un motus vivendi fort bancal. Mais il y a des moments où je me rends compte. Que je peux tisser certains brins de cette grâce-là. Qu'il y a un geste, un mot, un rire. Qui résonne à l'unisson parfait de cette réalité. Que je sors du flou, de l'à peu près, mon domaine.
J'avais prévu une suite, une série de contre-arguments, pour tempérer la naïveté confondante de cette éloge. Je me tairais. Il y a des êtres à l'eau-forte qui maintiennent en place ce que l'on nomme réalité. C'est suffisamment gigantesque pour que l'on se taise.